Joël N’Guessan, ex-ministre et ancien cadre influent du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), se retrouve aujourd’hui au centre d’une tourmente politico-judiciaire. Connu pour son franc-parler, l’homme politique ivoirien n’a jamais hésité à critiquer ouvertement certaines pratiques au sein de son propre camp, allant jusqu’à dénoncer publiquement des détournements massifs de fonds publics. Ces déclarations lui ont valu une mise à l’écart progressive du cercle présidentiel, avant que ses propos récents sur la responsabilité des magistrats dans les crises électorales du pays ne le placent directement dans le collimateur de la justice.
Dans un entretien accordé à la presse, Joël N’Guessan a pointé du doigt le rôle des magistrats dans l’éviction de plusieurs figures politiques majeures du processus électoral, dont Tidjane Thiam, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. « Ce ne sont pas les hommes politiques qui sont responsables des troubles, ce sont les magistrats », a-t-il notamment déclaré, en appelant à plus de discernement dans les décisions judiciaires ayant un impact direct sur la stabilité politique du pays.
Ces propos, bien que formulés de manière mesurée, ont été jugés diffamatoires par les autorités judiciaires. L’ancien ministre a été convoqué, placé en garde à vue, puis présenté à un procureur ce 19 juin. Il risque jusqu’à un an de prison et une amende de 3 millions de francs CFA.
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Un parcours politique jalonné de dénonciations
Ce n’est pas la première fois que Joël N’Guessan se heurte aux conséquences de ses déclarations. En 2021, alors qu’il présidait le Fonds de Développement de la Formation Professionnelle (FDFP), il avait dénoncé publiquement le détournement présumé de plus de 20 milliards de francs CFA par Ange Barry Battesti, directeur de l’institution. Il avait alors accusé l’ancien Premier ministre Patrick Achi de couvrir ce dernier, ce qui avait conduit à son éviction du Conseil d’administration du FDFP par le Conseil des ministres.
Son courage à s’exprimer contre ce qu’il percevait comme des dérives internes ne s’est pas atténué avec le temps. Il avait aussi évoqué, dans une autre intervention, le chiffre alarmant de 1500 milliards de francs détournés chaque année en Côte d’Ivoire. Depuis, Joël N’Guessan a vu son influence s’effondrer, et les représailles politiques ne se sont pas fait attendre.
Aujourd’hui handicapé moteur et marginalisé, il semble payer le prix de sa liberté de ton dans un climat politique où les voix discordantes, même issues de la majorité, sont de moins en moins tolérées.
Un rôle controversé de la justice ivoirienne dans les crises électorales
Les propos de Joël N’Guessan s’inscrivent dans une longue histoire de décisions judiciaires contestées qui ont façonné, parfois douloureusement, la trajectoire politique de la Côte d’Ivoire. Depuis les années 1990, les magistrats ont été accusés de partialité dans plusieurs scrutins clés. Alassane Ouattara lui-même, aujourd’hui président, avait été écarté de l’élection présidentielle à deux reprises, en 1995 et 2000, sur la base de doutes concernant sa nationalité.
Plus récemment, des figures majeures de l’opposition Tidjane Thiam, Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, Guillaume Soro – ont vu leurs droits civiques suspendus ou annulés, ce qui a nourri la frustration et la polarisation au sein de la société ivoirienne. Joël N’Guessan, en mettant en lumière ce qu’il considère comme des décisions judiciaires à l’origine des tensions, ne faisait que rappeler des faits historiques douloureux que les Ivoiriens n’ont pas oubliés.
Sa convocation par la justice pour avoir exprimé cette opinion ravive le débat sur la liberté d’expression, la séparation des pouvoirs et la responsabilité de l’appareil judiciaire dans le maintien de la paix sociale. À l’heure où le pays se dirige vers de nouvelles échéances électorales, cette affaire pose une question essentielle : peut-on encore débattre librement des choix de la justice sans craindre la répression ?
Le cas Joël N’Guessan est emblématique d’une démocratie en tension. Son arrestation, pour avoir simplement pointé les décisions controversées d’une justice perçue comme politisée, interpelle sur l’état des libertés fondamentales en Côte d’Ivoire. En refusant de taire ses convictions, cet homme politique aujourd’hui diminué physiquement, mais toujours debout moralement, s’expose une fois de plus à l’hostilité d’un système qu’il a longtemps servi. Un épisode qui ne manquera pas d’alimenter les débats, à mesure que se rapprochent les élections, où l’institution judiciaire jouera, une fois encore, un rôle central et scruté.