Le climat politique ivoirien est de nouveau sous tension à l’approche des échéances électorales. La figure de Tidjane Thiam, récemment revenu sur la scène nationale, cristallise les débats et les accusations. Le discours du Dr Boga Sako Gervais, acteur engagé de la société civile et proche de l’opposition, met en lumière un conflit politique majeur dont la révision contestée de la liste électorale. Cette polémique, loin d’être anecdotique, pose la question fondamentale de la transparence du processus électoral et des garanties démocratiques en Côte d’Ivoire.
Qui est Tidjane Thiam ?
Né en 1962 à Abidjan, Tidjane Thiam est le fruit d’un double héritage politique et intellectuel. Descendant d’une famille sénégalaise influente du côté paternel et d’une famille ivoirienne engagée du côté maternel, il se distingue très tôt par son excellence académique. Diplômé de l’École Polytechnique et de l’École des Mines de Paris, il obtient par la suite un MBA à l’université Harvard. Après un passage à McKinsey, il intègre le gouvernement ivoirien au début des années 1990 comme directeur général du BNETD (Bureau national d’études techniques et de développement). Il y gagne une réputation d’homme rigoureux et moderne.
Mais c’est dans le secteur privé qu’il connaîtra une ascension fulgurante . En qualité de directeur financier de Prudential, puis directeur général du Credit Suisse, Tidjane Thiam devient le premier Africain à diriger une grande banque internationale. En 2023, il annonce son retour en politique ivoirienne en tant que président du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).
Un contexte politique sous haute tension
Depuis plusieurs mois, la Côte d’Ivoire vit au rythme d’un affrontement politique intense entre le pouvoir en place, incarné par le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), et une opposition qui se recompose autour de personnalités comme Tidjane Thiam. Ancien patron de grandes institutions financières internationales, Thiam est perçu par beaucoup comme une alternative crédible au pouvoir actuel.
Dans ce contexte, la révision de la liste électorale, étape cruciale pour garantir la sincérité du scrutin, est devenue un enjeu central. Des milliers d’Ivoiriens attendent cette opération, synonyme d’inclusion et de transparence. Or, selon Dr Boga Sako Gervais, cette révision serait bloquée, et l’opposition en attribue la responsabilité à Tidjane Thiam, accusé d’être l’obstacle principal à une opération jugée essentielle pour la crédibilité du prochain scrutin.
Le discours du Dr Boga Sako Gervais envoie un signal d’alarme
« Le refus de faire la RÉVISION de la LISTE ÉLECTORALE que des milliers D’IVOIRIENS attendent est à cause d’un homme : TIDJANE THIAM. Est-ce qu’on peut être un humain et faire des calculs comme ça ? Donc c’est comme ça que vous êtes majoritaire là ? »
Dr Boga Sako Gervais
Ce discours, au ton accusateur, traduit une fracture profonde au sein de la classe politique ivoirienne. Il met en lumière la défiance entre l’opposition et le RHDP, chacun accusant l’autre de manipuler les règles démocratiques à son avantage.
Accusations de manipulation et crise de confiance
Le cœur du débat porte sur la révision de la liste électorale. Pour l’opposition, le refus ou le retard de cette opération équivaut à une tentative de manipulation du corps électoral, visant à exclure des milliers de citoyens du processus de vote. Cette accusation n’est pas nouvelle en Côte d’Ivoire, où la question de l’identification et de l’inscription sur les listes électorales a souvent été source de tensions et de violences.
La figure de Tidjane Thiam, loin d’être un simple acteur passif, est ici placée au centre de la controverse. Pour ses détracteurs, il serait à l’origine d’un blocage stratégique, destiné à préserver les intérêts du camp présidentiel. Pour ses partisans, il est au contraire la cible d’une campagne de déstabilisation orchestrée par ceux qui craignent son ascension politique.
Enjeux pour la transparence électorale
La révision de la liste électorale est un pilier de toute démocratie. Elle permet d’assurer que chaque citoyen en âge de voter puisse exercer son droit, et que le scrutin reflète fidèlement la volonté populaire. En Côte d’Ivoire, où l’histoire récente a été marquée par des crises post-électorales violentes, la question de la transparence électorale revêt une importance particulière.
Les propos du Dr Boga Sako Gervais soulignent la nécessité d’un processus électoral inclusif et transparent. En l’absence de révision, le risque est grand de voir se multiplier les contestations, de nourrir la défiance envers les institutions et de fragiliser davantage la paix sociale.
Libertés démocratiques et état de droit en question
Au-delà de la simple technique électorale, c’est bien la question des libertés démocratiques qui est posée. L’opposition dénonce des pratiques qu’elle juge contraires à l’esprit démocratique dont : exclusion de certains candidats, entraves à la liberté d’expression, pressions sur les médias et la société civile.
Le cas de Tidjane Thiam illustre cette tension. Son retour en politique a été accueilli avec espoir par une partie de la population, mais aussi avec suspicion par le pouvoir en place. Les accusations de manipulation de la liste électorale s’inscrivent dans un climat de méfiance généralisée, où chaque camp soupçonne l’autre de vouloir fausser le jeu démocratique.
Les réactions de la société civile et des observateurs internationaux
Face à cette controverse, la société civile ivoirienne s’est largement mobilisée. Plusieurs organisations, dont la FIDHOP (Fondation Ivoirienne pour l’Observation et la Promotion des Droits de l’Homme et de la Démocratie), ont appelé à la transparence et à l’inclusivité du processus électoral. Elles réclament la publication d’un calendrier clair pour la révision de la liste, ainsi que la présence d’observateurs indépendants.
Les partenaires internationaux, notamment l’Union africaine et l’Union européenne, suivent de près la situation. Ils ont rappelé à plusieurs reprises l’importance du respect des standards démocratiques et la nécessité d’un dialogue politique inclusif pour prévenir toute crise majeure.
Un risque d’escalade politique
L’accusation portée par Dr Boga Sako Gervais contre Tidjane Thiam et, en filigrane, contre le RHDP, n’est pas sans conséquences. Elle risque d’exacerber les tensions politiques et d’alimenter les discours de défiance. Dans un pays où les clivages politiques sont souvent exacerbés par des considérations ethniques et régionales, la moindre crise électorale peut rapidement dégénérer.
Les analystes politiques s’inquiètent d’une possible radicalisation des positions, qui pourrait conduire à des manifestations, voire à des violences, comme cela a été le cas lors des précédentes élections. Le maintien de la paix sociale dépendra en grande partie de la capacité des acteurs politiques à s’entendre sur les règles du jeu et à respecter les principes démocratiques.
Le rôle déterminant de Tidjane Thiam
Tidjane Thiam, en tant que figure montante de l’opposition, se retrouve dans une position délicate. D’un côté, il incarne l’espoir d’un renouvellement politique et d’une alternance pacifique. De l’autre, il est perçu par ses adversaires comme une menace pour l’équilibre actuel du pouvoir.
Sa gestion de la crise actuelle sera déterminante pour la suite de sa carrière politique, mais aussi pour la crédibilité du processus démocratique en Côte d’Ivoire. S’il parvient à se positionner comme un défenseur de la transparence et de l’inclusivité, il pourrait renforcer sa légitimité auprès de l’opinion publique. À l’inverse, s’il est perçu comme un acteur de blocage, il risque de perdre le soutien d’une partie de la population.
Perspectives et scénarios pour la démocratie ivoirienne
À court terme, la résolution de la controverse autour de la révision de la liste électorale sera un test majeur pour la démocratie ivoirienne. Plusieurs scénarios sont envisageables :
Dialogue et compromis : Les acteurs politiques parviennent à s’entendre sur un calendrier et des modalités de révision, sous l’égide d’organisations indépendantes. Ce scénario renforcerait la confiance dans le processus électoral et réduirait les risques de crise.
Blocage persistant : Le refus de réviser la liste perdure, alimentant la défiance et les tensions. Ce scénario pourrait déboucher sur des manifestations, voire des violences, et entacher la légitimité du scrutin.
Intervention internationale : En cas de crise majeure, les partenaires internationaux pourraient être amenés à jouer un rôle de médiation, voire à conditionner leur soutien à des avancées concrètes en matière de transparence.
La controverse autour de Tidjane Thiam et de la révision de la liste électorale n’est pas seulement un épisode de la vie politique ivoirienne. Elle pose des questions fondamentales sur la maturité démocratique du pays, la capacité de ses institutions à garantir l’équité du scrutin, et la volonté des acteurs politiques de privilégier l’intérêt général sur les calculs partisans.
Pour la Côte d’Ivoire, l’enjeu est d’éviter une nouvelle crise post-électorale et consolider les acquis démocratiques. Cela passe par une réaffirmation des principes de transparence, d’inclusivité et de respect des libertés fondamentales. Les prochaines semaines seront décisives pour l’avenir politique du pays, et la manière dont la classe politique gérera cette crise sera scrutée de près, tant par les Ivoiriens que par la communauté internationale.
