Conflit Israël-Iran : Quel impact sur l’économie africaine ?

Conflit Israël-Iran : Quel impact sur l’économie africaine ?

La montée en flèche des tensions entre Israël et l’Iran, marquée depuis le 13 juin 2025 par des frappes et contre-frappes d’une intensité inédite, ravive les inquiétudes autour de la stabilité économique mondiale. L’Afrique, déjà fragilisée par des défis structurels persistants, pourrait en subir de plein fouet les répercussions. Forte dépendance aux importations énergétiques, volatilité des prix du pétrole, pression inflationniste, perturbations des chaînes logistiques et incertitude croissante pour les investisseurs : le continent se trouve exposé à un choc extérieur dont les effets pourraient accentuer ses vulnérabilités économiques.

Une dépendance énergétique à haut risque

La plupart des économies africaines, à l’exception de quelques producteurs majeurs comme le Nigeria, l’Angola ou l’Algérie, dépendent massivement des importations de pétrole et de gaz pour alimenter leurs industries, leurs transports et leur production d’électricité. Cette dépendance structurelle expose le continent à la volatilité des marchés mondiaux, particulièrement sensible lors des crises au Moyen-Orient, région qui assure près d’un tiers de la production mondiale de pétrole.
La récente flambée des tensions entre Israël et l’Iran a immédiatement fait grimper les cours du brut. Le prix du Brent a bondi de plus de 10 % à l’annonce des attaques, avant de se stabiliser autour de 75 dollars le baril, un niveau toutefois supérieur à la moyenne de l’année précédente. Selon Goldman Sachs, une escalade durable pourrait ajouter 10 dollars supplémentaires au prix du baril, avec des effets en cascade pour les économies importatrices africaines.

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« Les prix des produits énergétiques tels que le pétrole vont augmenter, ce qui affectera de nombreux pays africains qui dépendent principalement des combustibles fossiles pour faire fonctionner leurs industries et alimenter leurs voitures », analyse Mustafa Ali, expert en relations internationales.
La menace d’un blocus du détroit d’Ormuz, par lequel transite près d’un cinquième de la consommation mondiale de pétrole, suscite une inquiétude particulière : une fermeture prolongée de ce passage stratégique aurait des conséquences catastrophiques sur l’approvisionnement mondial et, par ricochet, sur les économies africaines.

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La flambée des prix du pétrole menace la stabilité budgétaire de nombreux pays africains importateurs

Pour les pays africains non producteurs, la hausse des prix de l’énergie se traduit par une aggravation des déficits commerciaux et budgétaires. Le coût des importations de carburants explose, grevant les réserves de change et forçant parfois les gouvernements à subventionner davantage les prix à la pompe pour éviter des mouvements sociaux.
En Afrique subsaharienne, des pays comme le Sénégal, le Kenya, la Côte d’Ivoire ou le Maroc voient leur facture énergétique s’alourdir dangereusement. Selon la Banque africaine de développement, la hausse des prix du pétrole pourrait réduire la marge de manœuvre budgétaire de plusieurs États, déjà fragilisés par le service de la dette et la nécessité de financer des programmes sociaux.
La situation est d’autant plus préoccupante que la plupart de ces pays n’ont pas encore retrouvé leur niveau de croissance d’avant la pandémie de Covid-19. La Banque africaine de développement prévoit certes une croissance du PIB continental de 3,9 % en 2025, mais cette projection reste conditionnée à la stabilité des marchés mondiaux et à l’absence de nouveaux chocs exogènes.

Une nouvelle flambée des prix du pétrole a secoué les marchés mondiaux vendredi, alimentée par les inquiétudes croissantes d’un conflit régional

Inflation et pression sur le pouvoir d’achat

La hausse des prix de l’énergie a un effet immédiat sur l’inflation, déjà élevée dans de nombreux pays africains. Les carburants plus chers renchérissent les coûts de transport, de production et de distribution, ce qui se répercute sur les prix des biens de consommation courante, de l’alimentation aux services.
En 2024, l’inflation moyenne en Afrique subsaharienne a dépassé 10 %, avec des pics à plus de 20 % dans certains pays fragiles. Les nouvelles tensions géopolitiques pourraient accélérer cette dynamique, érodant le pouvoir d’achat des ménages et alimentant le mécontentement social.

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Les populations urbaines, dépendantes des transports collectifs et des produits importés, sont particulièrement vulnérables. Dans les zones rurales, la hausse du coût des intrants agricoles (engrais, carburants) risque d’alourdir la facture alimentaire, alors que la sécurité nutritionnelle reste un enjeu majeur sur le continent.

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Perturbations commerciales mondiales

Le conflit Israël-Iran ne se limite pas à une crise énergétique ! Il perturbe aussi les routes commerciales mondiales, dont dépend une partie croissante des économies africaines. Les attaques de navires en mer Rouge, menées par des groupes armés liés à la crise régionale, ont provoqué une réorganisation majeure du trafic maritime international.
Le canal de Suez, artère vitale reliant l’Asie, l’Europe et l’Afrique, a vu son trafic chuter de plus de moitié depuis la fin 2023, entraînant un manque à gagner estimé à près de 6 milliards de dollars pour l’économie égyptienne. Les compagnies maritimes, confrontées à l’insécurité, préfèrent désormais contourner l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance, allongeant les délais de livraison et augmentant les coûts logistiques.
Pour les exportateurs africains, notamment dans l’agroalimentaire, le textile ou les minerais, ces perturbations se traduisent par des surcoûts, des retards et une perte de compétitivité sur les marchés mondiaux. Les importateurs doivent, eux, faire face à une hausse des prix des biens intermédiaires et des produits finis, aggravant encore la pression inflationniste.

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Investissements étrangers en recul ?

L’incertitude géopolitique liée à un conflit prolongé au Moyen Orient a un impact négatif sur la confiance des investisseurs. Selon Ekivu de Ernst & Young, l’un des scénarios possibles d’escalade modérée à sévère pourrait freiner la croissance mondiale de 0,5 %. La stérélité des investissements touche particulièrement les secteurs stratégiques africains (énergie, mines, infrastructures).
Le FMI met en garde depuis avril 2025 contre une contraction de la croissance subsaharienne (révisée à 3,8 % pour 2025, contre 4,2 % antérieurement) en raison de perturbations extérieures et hausse des coûts d’emprunt. Le FMI exhorte les États africains à renforcer la mobilisation fiscale nationale pour éviter de dépendre d’endettement extérieur coûteux.
Certaines économies, comme l’Angola, préparent des simulations de sensibilité à la baisse des prix du pétrole, soulignant une fragilité importante si les cours chutent. L’anticipation d’un environnement mondial instable pousse à la prudence, jusqu’à retarder ou annuler des projets à long terme, y compris dans les énergies renouvelables.

 

Quels leviers pour amortir le choc ?

Face à ces vulnérabilités, les économies africaines disposent de plusieurs leviers pour amortir le choc et renforcer leur résilience :
Politiques d’ajustement budgétaire et monétaire : Adapter la politique budgétaire pour cibler les populations les plus vulnérables, renforcer la discipline fiscale et ajuster la politique monétaire pour contenir l’inflation sont des mesures prioritaires recommandées par la Banque africaine de développement et la CNUCED.
Diversification économique : Réduire la dépendance aux importations d’énergie et de biens de consommation en développant les filières locales, notamment dans l’agriculture, l’industrie légère et les énergies renouvelables, est une priorité de long terme.
Promotion de l’intégration régionale : Accroître le commerce intra-africain, faciliter la mobilité des biens et des personnes et mutualiser les infrastructures logistiques permettraient de limiter l’exposition du continent aux chocs extérieurs.
Mobilisation de financements innovants : Mettre en place des facilités de financement d’urgence pour les entreprises affectées, encourager l’investissement dans les chaînes de valeur régionales et renforcer la coopération avec les partenaires internationaux sont également des pistes identifiées par les institutions multilatérales.

La dette fragilise les pays pauvres

Renforcement de la gouvernance et des capacités institutionnelles : Améliorer la transparence, la gestion des finances publiques et la lutte contre la corruption sont des conditions essentielles pour attirer des investisseurs de long terme et garantir une utilisation efficace des ressources mobilisées.
Résilience et opportunités : l’Afrique à l’épreuve des crises
Malgré la gravité des menaces pesant sur son économie, l’Afrique a démontré une capacité de résilience remarquable face aux chocs externes. La croissance, bien que ralentie, reste supérieure à la moyenne mondiale et le potentiel de transformation du continent demeure considérable.
La crise actuelle pourrait, à terme, accélérer certaines dynamiques positives : accélération de la transition énergétique, renforcement de l’intégration régionale, montée en puissance de nouvelles filières industrielles et agricoles. Mais pour transformer l’épreuve en opportunité, il faudra des politiques publiques audacieuses, une coopération régionale renforcée et un engagement renouvelé des partenaires internationaux.

Le conflit entre Israël et l’Iran met une nouvelle fois en lumière la forte exposition des économies africaines aux chocs extérieurs. Toutefois, cette crise invite les États africains à repenser leurs stratégies de développement, à renforcer leur souveraineté économique et à accélérer la construction d’un modèle de croissance plus résilient, inclusif et durable.

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