Le Conseil des ministres du 11 juin 2025 a marqué un tournant décisif dans l’histoire politique du Mali. En adoptant un projet de loi modifiant la Charte de la Transition, le gouvernement a ouvert la voie à un mandat de cinq ans renouvelable pour le président de la transition, le général Assimi Goïta. Derrière cette décision à première vue technique, se dessine un changement profond : la transition semble céder la place à une installation durable du pouvoir militaire.
Réuni dans la salle de délibérations du palais de Koulouba, le Conseil s’est tenu dans une ambiance formelle, en marge des célébrations de la Tabaski. Le président Goïta en a profité pour adresser ses vœux aux membres du gouvernement et saluer l’engagement des forces armées dans la lutte contre le terrorisme. Mais l’élément central de cette rencontre résidait ailleurs : l’adoption d’un texte lourd de conséquences pour la vie démocratique du pays.
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Ce projet de loi, présenté par le ministre chargé des Réformes politiques, est officiellement justifié par les recommandations issues des Assises Nationales de la Refondation de 2021. Celles-ci appelaient à repenser les fondations de l’État avant d’organiser des élections. Mais aucun calendrier électoral n’a été annoncé. À la place, le président se voit attribuer un mandat plein, renouvelable, sans qu’aucune consultation populaire n’ait eu lieu.
Le régime actuel s’appuie sur une rhétorique de souveraineté nationale et de lutte contre l’ingérence étrangère. Cette posture est renforcée par l’alliance formée avec le Burkina Faso et le Niger au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), présentée comme un rempart face aux menaces extérieures. Mais cet argument sécuritaire devient aussi un prétexte commode pour retarder, voire contourner, toute forme d’alternance démocratique.
La question se pose donc avec acuité : où s’arrête la transition, et où commence la consolidation d’un régime militaire ? Si la révision de la Charte permet désormais au chef de l’État de se maintenir au pouvoir légalement, sans passer par les urnes, cela constitue une rupture majeure avec l’esprit de refondation initial.
Certes, les autorités assurent agir dans l’intérêt du peuple et au nom de la stabilité nationale. Le Premier ministre a d’ailleurs réitéré l’engagement de son gouvernement à servir les besoins vitaux de la population. Mais en l’absence de processus électoral clair, c’est toute la légitimité de cette démarche qui est remise en cause.
Le Mali, autrefois symbole de l’alternance pacifique en Afrique de l’Ouest, glisse désormais vers un modèle politique hybride, à la frontière entre autoritarisme assumé et transition indéfinie. Cette réforme pourrait redéfinir durablement les règles du jeu institutionnel, au risque de raviver les frustrations populaires et les tensions régionales.
L’histoire jugera si ce virage était une nécessité stratégique ou un dangereux précédent. Pour l’instant, la démocratie malienne reste en suspens.