Minéraux critiques : Tout savoir sur ce levier africain sous-estimé dans la course mondiale

Minéraux critiques : Tout savoir sur ce levier africain sous-estimé dans la course mondiale

Le terme « minéraux critiques » désigne des ressources naturelles essentielles à la transition énergétique mondiale et à des secteurs technologiques de pointe. Il s’agit notamment du lithium, du cobalt, du graphite, du nickel, du cuivre, des terres rares, entre autres. Leur caractère « critique » repose non seulement sur leur importance dans des technologies stratégiques (batteries, éoliennes, panneaux solaires, semi-conducteurs, etc.), mais aussi sur leur rareté géographique et les risques liés à leur approvisionnement.

Le monde entier s’engage aujourd’hui dans une transition énergétique ambitieuse, visant à sortir de la dépendance aux énergies fossiles. Cette transition repose massivement sur ces minéraux critiques. D’après un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande pour ces ressources devrait être multipliée par 4 à l’horizon 2040, voire davantage dans des scénarios d’atteinte des objectifs de neutralité carbone.

Dans cette nouvelle géopolitique des ressources, l’Afrique, richement dotée en minéraux stratégiques, se retrouve au cœur d’une compétition internationale intense. Mais encore faut-il que les pays africains transforment cette convoitise en levier de développement, d’autonomie industrielle et de souveraineté stratégique.

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Enjeux géopolitiques et économiques de la course mondiale aux minéraux critiques

Les transitions énergétique et technologique en cours placent les minéraux critiques au cœur de la compétition entre grandes puissances. Car sans lithium pour les batteries des voitures électriques, cobalt pour le stockage énergétique, cuivre pour les réseaux ou terres rares pour les aimants puissants, la décarbonation reste impossible et les ambitions numériques sont freinées.

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Concentration et vulnérabilités

 

La production et l’exploitation de ces ressources sont concentrées dans peu de pays dont la République Démocratique du Congo (RDC) qui détient plus de 70 % du cobalt exploité mondialement, une ressource essentielle pour les batteries électriques.

Le Chili et l’Australie dominent le secteur du lithium, élément phare de la mobilité verte.

La Chine contrôle plus de 85 % du raffinage des terres rares, matériaux stratégiques pour l’électronique et la défense.

Cette hyper-concentration expose les pays consommateurs à des risques majeurs en cas de pénurie, de ruptures logistiques ou de tensions diplomatiques. L’Union européenne, par exemple, dépend à 98 % de la Chine pour son approvisionnement en terres rares lourdes. Cette asymétrie pose question quant à la pérennité de la transition énergétique et au maintien d’une souveraineté technologique, notamment pour les économies occidentales.

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Fragilités industrielles et course à la sécurité d’approvisionnement

 

Pour répondre à ces enjeux, des initiatives majeures voient le jour. Aux États-Unis, l’« Inflation Reduction Act » (2022) encourage la relocalisation de chaînes de valeurs industrielles autour des technologies vertes et multiplie les incitations à investir dans l’extraction minière sur le sol américain ou dans des pays partenaires fiables. L’Union européenne aussi considère le secteur minier comme stratégique et multiplie les efforts pour sécuriser ses importations.

Sur fond de rivalités sino-américaines, de guerre en Ukraine et de bouleversements climatiques, la sécurisation des chaînes d’approvisionnement devient un enjeu économique, politique et diplomatique de premier plan. L’Afrique, avec ses gisements, émerge ainsi comme un espace clé dans cette géopolitique des matériaux stratégiques.

 

L’Afrique, élément central de la nouvelle géographie des minéraux critiques

Le continent africain, vaste et minéralogiquement riche, occupe une position décisive dans ce nouvel ordre mondial axé sur les ressources du sous-sol. La République démocratique du Congo se place au cœur de l’enjeu mondial avec plus de 70 % de la production mondiale de cobalt, 60 % du lithium africain et 10 % du cuivre mondial. En Afrique du Sud, le platine domine. Le pays en est le premier producteur mondial, un métal indispensable aux piles à combustible et à la dépollution industrielle. Son industrie du manganèse, du chrome et du vanadium est également bien implantée. Le Zimbabwe, quant à lui, s’impose sur la scène du lithium avec des gisements majeurs dans la région de Bikita, attirant désormais les grandes firmes internationales. La Namibie confirme son rôle stratégique grâce à ses réserves d’uranium, indispensable pour la production énergétique, tout en accentuant sa présence dans le domaine des terres rares. La Zambie partage avec la RDC la Copperbelt, une ceinture géologique d’une richesse exceptionnelle en cuivre, cobalt et nickel. Madagascar et le Gabon complètent cette carte stratégique avec leurs gisements de graphite et de manganèse, deux ressources clés pour les batteries et l’industrie sidérurgique. Cet inventaire met en lumière l’immense potentiel de l’Afrique pour peser dans la balance mondiale des ressources stratégiques. Mais cette abondance de matières premières pose aussi des défis tels que : celui du contrôle des filières industrielles, de la gouvernance minière, et de la transformation locale qui reste encore largement marginalisée.

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Chine, États-Unis, Europe : la bataille pour le contrôle des chaînes africaines

L’avantage chinois dans les réseaux africains

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Depuis le début du XXIe siècle, la Chine a misé sur une stratégie proactive, voire agressive, de sécurisation de ses approvisionnements sur le continent africain. À travers des accords du type « ressources contre infrastructures », Pékin a réussi à tisser un réseau dense, où extraction, transport et raffinage des minerais sont souvent placés sous contrôle d’intérêts chinois.

En RDC, le méga-contrat Sicomines, signé dès 2007 entre le gouvernement congolais et un consortium mené par des entreprises d’État chinoises, a permis au pays asiatique de garantir son accès au cobalt et au cuivre en échange de plusieurs milliards de dollars d’investissements dans des infrastructures publiques.

En Zambie, la China Nonferrous Metal Mining Company multiplie les acquisitions dans les mines de cuivre et cobalt.

Au Zimbabwe, des sociétés telles que Zhejiang Huayou Cobalt investissent massivement dans les chaînes du lithium, extrayant et transformant sur place.

Cette montée en puissance se traduit par un ancrage concret, allant au-delà de l’extraction brute. Routes, chemins de fer, ports, mais aussi infrastructures énergétiques, sont rénovés ou construits par des groupes chinois en échange d’un accès privilégié à la ressource, souvent dans des conditions contractuelles peu transparentes pour les gouvernements locaux.

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Le sursaut occidental : tentatives de retour stratégique

 

Face à cette avance chinoise, les États-Unis et l’Europe essaient de rééquilibrer le jeu par des stratégies recalibrées. Les États-Unis ont signé début 2024 un accord stratégique avec la RDC. Cette coopération, inédite par son approche, conditionne tout soutien financier à la stabilité politique et à la transparence de la gestion minière.

L’Union européenne, via l’initiative « Global Gateway », prévoit de lever 300 milliards d’euros pour le financement d’infrastructures, dont des corridors miniers et industriels en Afrique. Objectif : offrir une alternative crédible à la méthode chinoise et impulser des chaînes de valeur plus respectueuses des standards sociaux et environnementaux.

Si ces nouvelles dynamiques existent, elles restent bien en-deçà, pour l’instant, de la force de frappe déployée par la Chine, tant sur l’aspect financier que sur la capacité à intervenir rapidement. L’attractivité de l’offre occidentale dépendra de sa capacité à répondre par transparence, innovation et transfert de savoir-faire.

 

L’Afrique face à ses choix : de l’extractivisme à la valorisation locale

L’Afrique n’est plus condamnée à rester le « grenier du monde » sans bénéficier en retour. Plusieurs tendances émergent, marquant une volonté accrue de transformer la richesse minérale en développement industriel et en position de force dans les négociations internationales.

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Négocier l’industrialisation au lieu de l’extraction brute

 

L’industrialisation locale devient un mot d’ordre croissant sur le continent, porté par des revendications nationales de plus en plus affirmées. Il ne s’agit plus seulement d’extraire, mais d’exiger que chaque tonne de minerai exportée s’accompagne d’investissements concrets dans la transformation sur place. Plusieurs États africains imposent désormais à leurs partenaires des engagements clairs, qu’il s’agisse de la création de filières locales de raffinage, du développement de projets de production de batteries ou encore de la mise en place d’infrastructures dédiées aux semi-conducteurs. Parallèlement, la question du transfert de technologies prend une place centrale dans les négociations. De plus en plus de gouvernements conditionnent les contrats miniers à l’obtention de savoir-faire techniques et à la formation de la main-d’œuvre locale, quitte à suspendre ou retarder certains accords si ces exigences ne sont pas respectées.

Renforcer la gouvernance et la transparence

 

Face aux scandales qui ont jalonné l’histoire des ressources minières africaines, la lutte contre la corruption s’impose comme une priorité. Les pouvoirs publics, soutenus par une société civile de plus en plus vigilante, réclament des contrats miniers transparents, traçables et encadrés par des mécanismes de contrôle indépendants. Dans cette dynamique, plusieurs pays mettent en place de nouvelles réglementations et législations visant à mieux encadrer l’exploitation des ressources. Des cadres régulateurs nationaux émergent, avec pour objectif de garantir que la valeur ajoutée générée par les minerais reste en partie sur le sol africain. Cela passe par des obligations de transformation locale, l’instauration de quotas de contenu local, ou encore par l’augmentation des taxes sur l’exportation de minerais à l’état brut. Ces mesures marquent une volonté claire de rompre avec la logique d’extraction sans développement et de replacer les intérêts nationaux au cœur des stratégies minières.

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Mutualiser les forces au plan régional

 

La Vision Minière Africaine, portée par l’Union africaine, incarne une tentative ambitieuse d’unifier les politiques minières à l’échelle continentale. Cette initiative vise à renforcer la souveraineté des États en encourageant des négociations collectives avec les opérateurs internationaux, afin de faire front commun et accroître le pouvoir de négociation de l’Afrique face aux grandes puissances économiques. Dans le cadre du plan d’action continental qui en découle, plusieurs axes stratégiques sont mis en avant, notamment la formation de pôles régionaux de transformation, la constitution d’alliances industrielles entre États africains et l’intégration accélérée du continent dans les chaînes de valeur mondiales. Cette approche marque un tournant, celui d’une Afrique décidée à ne plus se contenter d’être un réservoir de matières premières, mais bien un acteur structurant de l’économie minière mondiale.

Perspectives africaines et avenir industriel

L’année 2025 s’annonce comme un tournant pour l’affirmation de l’Afrique sur la scène mondiale, notamment avec la présidence sud-africaine du G20, qui offre une occasion stratégique de faire entendre la voix du continent dans les débats sur la refonte des chaînes d’approvisionnement mondiales en minéraux essentiels. Dans cette perspective, plusieurs chantiers s’imposent. Il est essentiel de proposer des mécanismes de financement internationaux capables de soutenir les filières africaines de transformation locale, afin de rompre définitivement avec le modèle d’exportation brute. L’Afrique doit également réclamer une place légitime dans les structures mondiales de gouvernance économique, là où se définissent les règles du commerce et les normes industrielles. Des initiatives concrètes existent déjà et doivent être mises en valeur, comme le projet commun de zone industrielle dédiée aux batteries au lithium, porté par la République démocratique du Congo et la Zambie, qui incarne un exemple fort de coopération régionale et d’intégration de la chaîne de valeur. Mais le chemin reste semé d’embûches. L’opportunité est réelle, à condition que les dirigeants africains aient le courage politique de penser au-delà de l’intérêt immédiat, d’associer la société civile aux décisions, et de construire des politiques industrielles ambitieuses et résilientes. La réussite passera par des partenariats équilibrés, enracinés dans une vision commune à l’échelle continentale, ainsi qu’une ferme volonté de s’émanciper de toute forme de dépendance imposée ou de vulnérabilité exploitée par les grandes puissances.

terres rares

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Le débat sur les minéraux critiques ne se résume pas à une question d’extraction ni à une rivalité entre puissances. C’est une invitation pour l’Afrique à définir sa propre trajectoire, loin du statut historique de simple fournisseur de ressources. En choisissant la voie de la transformation locale, du partenariat équilibré, de la bonne gouvernance et de la coopération régionale, le continent peut s’assurer un rôle central dans les révolutions industrielles et énergétiques à venir. Ce positionnement, s’il s’affirme, permettra non seulement de répondre aux ambitions mondiales de transition écologique, mais aussi d’offrir aux populations africaines des perspectives nouvelles de développement, de souveraineté industrielle et de valorisation sociale. Le « moment minéral » africain peut se muer en décennie d’émancipation, pour peu que la volonté politique et l’exigence citoyenne s’imposent comme forces motrices du changement.

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