Togo 2025 : Les enjeux électoraux autour du nouveau découpage territorial

Togo 2025 : Les enjeux électoraux autour du nouveau découpage territorial

En mai 2025, à quelques semaines des élections locales programmées pour le 17 juillet, le gouvernement togolais a adopté un nouveau découpage électoral municipal et régional. Cette réforme, qui augmente de 136 le nombre de conseillers locaux et redessine profondément la carte électorale, intervient dans un contexte de réformes institutionnelles importantes et de tensions politiques croissantes. Tandis que le pouvoir met en avant une volonté d’équité territoriale, l’opposition dénonce une manœuvre destinée à verrouiller le processus électoral. Ce bouleversement structurel redéfinit les équilibres démocratiques du pays et soulève des questions cruciales sur la représentativité et la légitimité des institutions.

Un redécoupage précipité au cœur d’une stratégie institutionnelle

Le décret officialisant ce nouveau découpage a été pris en mai 2025, moins de deux mois avant les élections locales. Cette décision intervient alors que la révision des listes électorales, étape importante pour garantir la transparence du scrutin, s’est déroulée du 7 au 23 avril, selon un calendrier fixé sans large concertation avec les partis d’opposition. Cette précipitation a suscité de vives critiques, l’opposition y voyant une volonté de modifier les règles du jeu en pleine campagne électorale.

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Jean-Pierre Fabre, leader de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC), dénonce un processus biaisé où les décisions majeures sont prises sans dialogue national : « Nous dénonçons un processus électoral biaisé, où les décisions majeures sont prises sans dialogue national. »

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Ce redécoupage s’inscrit dans une séquence plus large de réformes institutionnelles engagées depuis 2023-2024. Parmi celles-ci, le passage à un régime parlementaire, la création d’un poste de président du Conseil des ministres doté de larges pouvoirs exécutifs, ainsi que la suppression de l’élection présidentielle directe au profit d’un scrutin indirect confié aux députés. Ces mesures concentrent le pouvoir entre les mains du parti au pouvoir, l’Union pour la République (UNIR), et de son dirigeant Faure Gnassingbé, au détriment d’une véritable compétition démocratique.

 

Le redécoupage territorial, loin d’être un simple ajustement technique, apparaît donc comme un élément clé d’une stratégie politique visant à remodeler les mécanismes électoraux pour préserver la rente de pouvoir d’UNIR. Dans ce contexte, même une élection locale devient un enjeu national, car elle conditionne la composition des instances qui désigneront le futur président dans ce nouveau régime parlementaire.

Les justifications officielles face aux critiques de l’opposition

Le gouvernement justifie le nouveau découpage par la nécessité d’assurer une meilleure « équité territoriale » et une « solidarité nationale ». Il s’appuie sur deux critères principaux : la démographie (75%) et la superficie (25%). Selon les autorités, cette réforme vise à corriger des déséquilibres historiques, notamment la surreprésentation des zones rurales peu peuplées et la sous-représentation des zones urbaines, notamment la périphérie de Lomé.

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Le découpage attribue ainsi 31 sièges à la région Maritime (la plus peuplée), 31 aux Plateaux, 19 à Kara, et 16 chacun aux régions Centrale et Savanes, totalisant 113 sièges. Cette répartition, présentée comme plus juste, cherche à mieux refléter la densité humaine tout en tenant compte des contraintes géographiques.

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Cependant, cette vision officielle est vivement contestée. L’opposition dénonce un quotient d’électeurs par conseiller inégal, avec 141 000 électeurs par élu dans la région Maritime contre 65 000 dans les Plateaux, ce qui fausse la représentativité et favorise certains territoires au détriment d’autres. Jean-Pierre Fabre souligne ainsi que « ce déséquilibre remet en cause le principe fondamental d’égalité devant le suffrage ».

 

Cinq partis d’opposition (CAR, PSR, Santé du Peuple, Togo Autrement, UDS-Togo) ont également dénoncé la fixation unilatérale des dates de révision des listes électorales, sans consultation du Cadre permanent de concertation (CPC), instance censée garantir le dialogue politique. Ils craignent que cette opacité n’exclue des électeurs favorables à l’opposition.

 

Le parti ADDI critique l’usage des communes comme base territoriale, estimant que cela gonfle artificiellement le nombre de députés (117 ou plus) et affaiblit la représentativité par habitant, avec un député pour moins de 90 000 habitants contre 110 000 à 128 000 dans les pays voisins.

 

Cette absence de concertation et ces déséquilibres nourrissent un climat de méfiance et de contestation, qui se traduit par des manifestations citoyennes, parfois réprimées avec violence, faisant plusieurs morts et blessés.

Enjeux démocratiques et représentativité : un système verrouillé ?

La réforme du découpage municipal s’inscrit dans un dispositif institutionnel plus vaste. La nouvelle constitution adoptée en 2024-2025 supprime l’élection présidentielle directe, transférant la désignation du chef de l’État aux députés, dans un régime parlementaire. Le mandat présidentiel est unique, de six ans, non rétroactif, ce qui ouvre la voie à une prolongation du pouvoir de Faure Gnassingbé.

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Le poste de président du Conseil des ministres, concentrant l’essentiel des pouvoirs exécutifs, est verrouillé par la majorité parlementaire. Ainsi, contrôler les régions et les conseils locaux revient à contrôler l’appareil politique national, consolidant la domination d’UNIR.

 

L’opposition dénonce un « passage en force » : le comité de pilotage du découpage, chargé d’assurer le dialogue, est jugé déséquilibré, avec seulement trois membres de l’opposition sur dix-sept à la Commission électorale nationale indépendante (CENI). La société civile est également sous-représentée, et les modifications de la carte électorale ont été décidées sans réelle consultation.

 

L’adoption de la nouvelle constitution par une Assemblée en fin de mandat, sans référendum ni consultation publique, alimente les accusations de « coup d’État constitutionnel ». Pour de nombreux observateurs, ces pratiques traduisent une stratégie de gerrymandering, un redécoupage électoral partisan destiné à renforcer la mainmise du parti au pouvoir sous couvert de critères démographiques.

 

Données chiffrées révélatrices

La région Maritime, la plus peuplée avec 2,8 millions d’habitants, dispose de 31 sièges, ce qui correspond à environ 141 000 électeurs par siège, soit la plus faible représentativité. En comparaison, les Plateaux, avec 2 millions d’habitants, ont aussi 31 sièges, mais un quotient électoral beaucoup plus favorable, autour de 65 000 électeurs par siège. Les régions de Kara, Centrale et Savanes, moins peuplées, bénéficient respectivement de 19, 16 et 16 sièges, avec un nombre d’électeurs par siège allant de 63 000 à 44 000, ce qui traduit une surreprésentation relative par rapport à la région Maritime.

 

Au total, plus de 4,2 millions d’électeurs sont inscrits sur 117 communes, avec 113 sièges à pourvoir. Le financement public alloué à la campagne électorale s’élève à 500 millions FCFA, répartis proportionnellement aux résultats des candidats.

Perspectives et défis pour la démocratie togolaise

Face à ce contexte, l’opposition et plusieurs organisations non gouvernementales appellent à une refonte complète du cadre électoral et à la suspension du processus en cours, estimant que la crédibilité, l’équité et la transparence du scrutin sont compromises. Le climat de tension, marqué par la répression des manifestations et la défiance envers les institutions, fait craindre une crise politique durable.

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Deux scénarios principaux se dessinent :

 

Un dialogue national et une réforme du cadre électoral : sous la pression de la société civile et de la communauté internationale, un dialogue pourrait s’ouvrir pour rééquilibrer la représentation, garantir un scrutin plus inclusif et restaurer la confiance dans les institutions.

 

La consolidation du pouvoir en place : en l’absence de compromis, le système actuel pourrait se renforcer, marginalisant davantage l’opposition, réduisant l’espace démocratique et accentuant les risques de tensions sociales.

 

Le nouveau découpage territorial adopté en 2025 dépasse le simple ajustement administratif. Il redéfinit en profondeur les mécanismes électoraux et la nature même du pouvoir politique au Togo. Si le gouvernement met en avant des critères d’équité et de solidarité, la rapidité de la réforme, l’absence de concertation et le contexte institutionnel global nourrissent la suspicion d’une manœuvre destinée à verrouiller le système au profit du parti majoritaire.

 

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