En Afrique, la pression sociale s’impose comme une force silencieuse mais redoutablement influente, façonnant les choix individuels bien au-delà des aspirations personnelles. Entre le poids des traditions ancestrales, les exigences d’une modernité galopante et les élans d’émancipation portés par les jeunes générations, de nombreux Africains se retrouvent à la croisée des chemins. Mariage, carrière, religion, genre ou statut social : chaque décision devient un terrain de tension entre conformité attendue et liberté recherchée. Comment trouver sa place dans une société où l’appartenance collective prévaut souvent sur l’expression de soi ? Cette interrogation soulève les défis d’un continent en pleine mutation, tiraillé entre fidélité aux valeurs héritées et désir de se réinventer.
Mariage, enfants, réussite : le poids des attentes familiales
Dans de nombreuses sociétés africaines, se marier tôt, fonder une famille rapidement et réussir selon des critères communautaires restent des impératifs sociaux forts. Selon la sociologue Ndèye Khady Lo, la pression commence souvent dès l’enfance, avec des attentes différenciées selon le genre : « Quand une fille naît, on lui assigne très tôt un rôle qui tourne autour du mariage et de la maternité ». Cette injonction se manifeste par des questions récurrentes dès la fin de l’adolescence : « À quand le mariage ? », « Pourquoi ne fais-tu pas d’enfants ? », qui peuvent devenir oppressantes, surtout dans les milieux où le statut social est étroitement lié à ces accomplissements.
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Les études de l’UNICEF confirment que l’Afrique subsaharienne détient le taux le plus élevé de mariages précoces, avec une fille sur trois mariée avant 18 ans. Ce phénomène est exacerbé dans les zones fragiles où conflits et insécurité poussent les familles à marier leurs filles plus tôt, souvent pour les « protéger » ou alléger la charge économique. Cette réalité est renforcée par des normes sociales qui valorisent la maternité comme un passage obligé vers la reconnaissance sociale.
Ibrahima Bao, socio-anthropologue, souligne que cette pression sociale s’inscrit aussi dans une quête de réussite financière et sociale, appelée « tékki » au Sénégal, qui pousse les jeunes à accomplir des actions valorisées par la communauté, notamment le mariage et la procréation, mais aussi la réussite économique. Ce cadre normatif rigide peut engendrer un profond malaise chez ceux qui souhaitent suivre un parcours différent, notamment les jeunes femmes qui aspirent à une émancipation par l’éducation ou la carrière. Le témoignage d’Evelyne, 42 ans, célibataire au Togo, illustre ce conflit : « Mon célibat pose plus problème aux autres qu’à moi-même ».
Cette pression familiale est souvent renforcée par les cercles élargis, où la réussite ne se mesure pas seulement à l’épanouissement personnel mais à la capacité à répondre aux attentes collectives. Le poids des traditions et de la communauté reste donc un facteur déterminant dans les choix de vie, parfois au détriment de la liberté individuelle.
Les réseaux sociaux, nouveaux vecteurs de comparaison et d’angoisse sociale
Avec l’essor fulgurant des réseaux sociaux en Afrique, la pression sociale a pris une nouvelle dimension. En 2024, environ 35% de la population africaine utilise ces plateformes, un chiffre en forte progression grâce à la démocratisation des smartphones et à la baisse des coûts de connexion. Facebook, WhatsApp, Instagram et TikTok sont devenus des espaces où les jeunes partagent leurs réussites, leurs apparences, et où se joue une compétition sociale exacerbée.
Cette visibilité constante crée une « course à l’apparence » et à la validation numérique qui génère stress et anxiété. Selon une étude relayée par la BBC, l’obsession des « likes », des commentaires et des followers peut accroître la pression sociale, en particulier chez les jeunes. Ces derniers sont souvent confrontés à une image idéalisée du succès, difficile à atteindre dans des contextes marqués par le chômage et la précarité.
Les réseaux sociaux, tout en offrant des opportunités économiques et d’expression, deviennent aussi un miroir déformant où se cristallisent les frustrations. Ils amplifient les normes traditionnelles en valorisant certains modèles de réussite, notamment la richesse matérielle, la beauté ou la vie familiale parfaite, souvent exposés par des influenceurs locaux ou des célébrités. Cette dynamique accroît le sentiment d’exclusion chez ceux qui ne peuvent rivaliser, alimentant un mal-être social.
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Par ailleurs, la propagation rapide de fausses informations et de stéréotypes sur ces plateformes peut renforcer les jugements sociaux et les discriminations. L’absence de régulation efficace face à ces contenus complique la situation, exposant les jeunes à des pressions contradictoires et parfois toxiques.
L’urbanisation rapide et ses effets sur les solidarités traditionnelles
L’urbanisation rapide désigne le phénomène par lequel un nombre croissant de personnes migrent des zones rurales vers les zones urbaines, entraînant une croissance accélérée des villes.
En ville, la vie est tout autre. L’inflation galopante associée aux effets de la quête des intérêts personnels modifient tout. Dans les villes africaines, c’est chacun pour soi. En effet, la pression sociale est telle que personne ne pense vraiment à l’autre.
Au village, la solidarité est de mise. Chacun peut manger chez l’autre, compter sur ses amis et parents. On vit beaucoup plus en harmonie. La pauvreté, bien que réelle ne pose pas vraiment de problèmes. Les gens étant conscients de leurs situations et cherchant tant bien que mal à s’en sortir.
Dire que les gens mangent « bien » au village ne serait pas vraiment exagéré. Dans des villages d’Afrique, l’air reste de qualité à s’en fier à plusieurs spécialistes. De plus, la consommation de produits issus de l’agriculture ou de la chasse, les repas remplis de protéines font du bien à plus d’un. Les mets traditionnels, les tisanes, mieux la médecine traditionnelle gardent leur valeur dans le bien-être quotidien. Loin de la consommation quotidienne de produits congelés, surgelés et des conserves de la ville.
Par contre, en ville, des millions de personnes se réveillent le matin juste pour trouver la pitance du quotidien, sapant au passage les règles de solidarité d’antan. Tout le monde se dit que la vie en ville serait mieux mais c’est sans penser au poids financier qui va avec. En d’autres termes, des citoyens de pays africains ayant des richesses insoupçonnées se retrouvent sans le sou, forcés au sous-emploi. Et ce, à cause de la mauvaise répartition des ressources des pays. Les gens courent dans tous les sens juste pour avoir de petites sommes pour se nourrir, donner à manger à leurs familles, mettre quelque chose de côté pour le lendemain. Et chaque fois, c’est le même cycle jusqu’à l’infini. Dans ces conditions où manger est difficile pour ne pas dire une chance du quotidien, il est donc impossible de penser même à des soins de santé.
Dans un tel contexte de précarité ambiante, la plupart des gens préfèrent carrément prendre des médicaments de rue en cas de maladie. Difficile de penser à aller se soigner dans un hôpital privé ou même une clinique privée.
Selon le Rapport social mondial 2020 du DAES de l’ONU, l’avenir des inégalités dépendra en grande partie de la maîtrise et de la gestion du processus d’urbanisation, ou de son amplification par des clivages croissants. Pour la première fois dans l’histoire, les zones urbaines ont désormais plus de personnes que les zones rurales. Au cours des trois prochaines décennies, la croissance démographique mondiale devrait se produire presque exclusivement dans les villes du monde entier. Le nombre total de citadins devrait passer d’environ 4,4 milliards aujourd’hui à 6,7 milliards en 2050.
Dès 2025, les villes africaines abriteront 187 millions d’habitants supplémentaires. Cependant, les derniers recensements montrent qu’une grande majorité de cette population vit dans les quartiers insalubres et en particulier dans les pays subsahariens où 60% de la population vit dans des bidonvilles. Ces données sont issues d’un rapport des Fabriques Urbaines.
Des villes africaines avec une concentration élevée de population au kilomètre carré, cela est aussi source de difficultés. La promiscuité, la prolifération des bidonvilles, la précarité alarmante sont sources de problèmes.
Le chômage galopant n’a pas encore dit son dernier mot. Et on en passe…
La jeunesse africaine face au dilemme : partir ou rester ?
Face au triste contraste qui se pose, faut-il partir ou rester ? C’est un autre débat d’actualité et qui doit se faire. Bien que de nombreuses personnes ne veulent pas en parler, préférant rester dans leurs projets, le mal est toujours là.
La jeunesse se sent désabusée. La pauvreté et le chômage les accompagnent dans leur quotidien. Sur les réseaux sociaux, les jeunes qui rêvent de partir à l’étranger sont nombreux. Selon les derniers chiffres de la loterie Visa 2025, il y a par exemple 2 286 Togolais, 1032 Béninois et 883 Ivoiriens qui sont sélectionnés. Ces chiffres ne sont que la partie enfouie de l’iceberg. Carrément insignifiant, selon plusieurs analystes de la vie socioéconomique du continent.
De nombreuses études sont là pour confirmer ses réalités. A se fier à une enquête menée auprès de plus de 4 500 jeunes Africains âgés de 18 à 24 ans, 52 % d’entre eux envisageraient d’émigrer au cours des prochaines années, les principales raisons invoquées étant les difficultés économiques et les possibilités d’éducation. Nos confrères de la BBC ont eu à s’entretenir avec cinq jeunes du Nigéria et d’Afrique du Sud qui ont déclaré ne pas se sentir en sécurité dans leur pays et ne pas avoir accès à des opportunités de travail.
Les problèmes sont trop nombreux pour ceux qui veulent partir. Pêle-mêle, le chômage peut être en tête. En dehors de ça, beaucoup de pays africains n’ont pas de politique pour faire émerger la jeunesse. Tout est souvent basé sur la politique, l’administration politisée, la méritocratie tend à disparaître et ça va de mal en pis. Partir, c’est l’idée de plus d’un sur un continent où beaucoup mangent difficilement. Ils préfèrent partir, se construire ailleurs que de demeurer dans la galère. Partout, les cris sont les mêmes : « ça ne va pas, ça ne va pas » .
« Que vais-je continuer à faire sur ce continent ? Je ne veux même pas quitter mon pays pour un autre. Mon souhait est de quitter l’Afrique et aller me chercher en Europe. Même si c’est pour curer les caniveaux ou laver les assiettes, c’est mieux pour moi. La galère va nous tuer en Afrique », nous confie Koffi, un jeune artisan rencontré à Lomé.
C’est le même constat au niveau de Toni, un autre jeune dont la mésaventure reste vive dans son esprit. Il se rappelle avec amertume de comment un maintenancier du quartier est parti aux États-Unis après avoir vendu les ordinateurs, ventilateurs et tout ce qui appartenait aux clients. Toni avait aussi son PC dans le lot, lui, étudiant sans grands moyens dans le temps. Ce phénomène existe et de nombreux témoignages peuvent être écoutés un peu partout. Ailleurs, ce sont des cabinets qui arnaquent à coup de millions de FCFA ceux qui veulent partir à tout prix.
Pendant ce temps, il y a quand-même des gens qui veulent et vont rester. L’Afrique regorge de talents insoupçonnés qui resteront mais à quelle fin ?
« Je reste en Afrique. Je crois qu’il y aura du changement. Tout est question de volonté. Quand je vois ce qui se passe dans certains pays comme l’Afrique du sud ou le Rwanda , je pense qu’il faut y croire. Autrement dit, je reste en priant pour le meilleur », nous rassure un interlocuteur ayant requis l’anonymat. L’Afrique comme il va !
Il est temps d’appeler les choses par leur nom. Ce que beaucoup de jeunes vivent aujourd’hui n’est pas un simple « conflit de générations », mais une véritable asphyxie sociale. On leur dicte leur manière de vivre, d’aimer, de rêver. Et lorsqu’ils tentent de s’affranchir, ils sont taxés d’ingrats ou d’étrangers à leur propre culture. Ce n’est pas la jeunesse qui trahit la société, c’est une société rigide qui trahit sa jeunesse. Le rêve de partir n’est pas un caprice, mais un cri. Un cri de détresse, mais aussi d’espoir. L’Afrique ne pourra prétendre à un avenir radieux que lorsqu’elle osera libérer ses enfants du poids de l’hypocrisie, des carcans traditionnels figés, et des injonctions sociales étouffantes. Le changement ne viendra pas d’ailleurs. Il commence ici, par la parole, le courage et la révolte constructive de toute une génération.