Kenya : Décès de Ngũgĩ wa Thiong’o, figure majeure de la décolonisation des esprits

Le Kenya, et le monde littéraire tout entier, a perdu une figure emblématique. Ngũgĩ wa Thiong’o, l’une des voix les plus puissantes de la littérature africaine et ardent défenseur de la décolonisation de la langue et de la pensée, s’est éteint à l’âge de 87 ans. Il est décédé le mercredi 28 mai 2025, à son domicile de Buford, en Géorgie, aux États-Unis.

Plus qu’un romancier, Ngũgĩ était un modèle culturel et politique, utilisant la littérature comme un outil de libération. Sa disparition marque la fin d’une époque, mais ses mots continuent de vivre, de respirer et d’interpeller.

De Limuru à la reconnaissance mondiale : Ngũgĩ wa Thiong’o est une voix née de la résistance

Né en 1938 à Kamiriithu, Limuru, au centre du Kenya, Ngũgĩ wa Thiong’o a été marqué par le soulèvement des Mau Mau contre le régime colonial britannique. Cette expérience a nourri son premier roman percutant, Ne pleure pas, mon enfant (1964), premier roman majeur en anglais d’un écrivain est-africain.

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Dans les années 1970, Ngũgĩ a commencé à créer du théâtre politique radical en langues locales. Sa pièce Ngaahika Ndeenda (Je me marierai quand je le voudrai), co-écrite et jouée avec des villageois, est devenue un phénomène national et une menace pour les autorités. Le régime Moi l’a emprisonné sans procès pendant un an. Il a écrit son roman suivant, Le Diable sur la croix, sur du papier toilette distribué par les prisons.

Pour Ngũgĩ, le combat n’était pas seulement politique, il était linguistique. Dans les années 1980, il prend la décision audacieuse d’abandonner l’anglais et commence à écrire exclusivement en kikuyu, sa langue maternelle. Son essai de 1986, Décoloniser l’esprit, devient un manifeste pour les écrivains africains en quête de libération culturelle.

« La langue porte la mémoire d’un peuple », disait-il souvent. En refusant les langues coloniales, il récupère l’âme du récit africain et refaçonne l’identité littéraire du continent.

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Exil, influence mondiale et détermination inébranlable

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Contraint à l’exil en 1982, Ngũgĩ wa Thiong’o enseigne dans des institutions prestigieuses comme Yale et devient plus tard professeur émérite à l’Université de Californie à Irvine. Bien qu’il ait vécu à l’étranger, son cœur reste attaché au Kenya et à l’Afrique. De retour au pays en 2004, il met en garde contre l’autoritarisme rampant et les blessures non cicatrisées de la trahison postcoloniale.

Ses romans, Un grain de blé, Pétales de sang et Le magicien du corbeau, offraient des critiques virulentes du néocolonialisme, du capitalisme et de l’hypocrisie politique. Sa plume a toujours dit la vérité au pouvoir.

L’influence de Ngũgĩ wa Thiong’o est incommensurable. Ses œuvres ont été traduites dans près de 40 langues, et ses quatre enfants ont tous suivi ses traces littéraires. Il a longtemps été considéré comme candidat au prix Nobel de littérature, mais son influence mondiale a largement éclipsé toute distinction.

Sa fille, Wanjiku wa Ngũgĩ, lui a rendu un hommage émouvant : « Rîa ratha na rîa thŭa. Tŭrî aira ! », une expression kikuyu qui embrasse à la fois la joie et la tristesse.

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